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historique

"J’ai vu, de mes yeux, le fascisme"


Au terme de cette enquête et de ce voyage, je dirai seulement ce dont je suis sûr.

J’ai vu la peste brune passer par là. J’ai vu ce qu’elle a fait d’un grand pays civilisé. Mon témoignage est pur de tout chauvinisme. Vous ne m’aurez pas entendu dire, comme on l’a murmuré jusque dans nos propres rangs socialistes, ici en France : "Tout cela est arrivé... parce que ce sont des Boches !"

Je ne dirai pas davantage, avec le leader social-démocrate Wels, que la classe ouvrière allemande ne s’est pas montrée à la hauteur... Si ses chefs l’ont trahie, ce n’est pas la volonté de lutte qui lui a manqué, qui lui manque encore.

J’ai vu, de mes yeux, le fascisme. Je sais aujourd’hui ce qu’il est. Et je songe qu’il nous faut faire, avant qu’il soit trop tard, notre examen de conscience. Depuis dix ans, nous n’avons pas prêté au phénomène une attention suffisante. César de Carnaval, blaguait Paul-Boncour. Non, le fascisme n’est pas une mascarade. Le fascisme est un système, une idéologie, une issue. Il ne résout certes rien, mais il dure. Il est la réponse de la bourgeoisie à la carence ouvrière, une tentative pour sortir du chaos, pour réaliser, sans trop compromettre les privilèges de la bourgeoisie, un nouvel aménagement de l’économie, un ersatz de socialisme.

J’ai appris en Allemagne que, pour vaincre le fascisme, il faudrait lui opposer un exemple vivant, un idéal de chair... Ah ! si l’URSS, redevenue république des Soviets, pouvait comme après 1917, être un pôle d’attraction irrésistible !

J’ai appris que, si la carence ouvrière se prolonge, le fascisme se généralisera dans le monde. Attendrez-vous, ici, que pleuvent les coups de matraque ? Le fascisme est essentiellement offensif : si nous le laissons prendre les devants, si nous restons sur la défensive, il nous anéantira. Il use d’un nouveau langage, démagogique et révolutionnaire : si nous ressassons, sans les revivifier par des actes, les vieux clichés usés jusqu’à la corde, si nous ne pénétrons pas jusqu’au fond de ses redoutables doctrines, si nous n’apprenons pas à lui répondre, nous subirons le sort des Italiens et des Allemands. Enfin, le fascisme est essentiellement un mouvement de jeunesse. Si nous ne savons pas attirer à nous la jeunesse, satisfaire son besoin d’action et d’idéal, elle risque de nous échapper et même de se retourner contre nous. Si nous ne purgeons pas notre action du moindre vestige de nationalisme, nous creuserons, nous aussi, sans le vouloir, le lit d’un national-socialisme. Qui sait, ce lit est peut-être, chez nous, déjà en train de se creuser...

"La Peste Brune", 1932

Dernière mise à jour CVS: Dimanche 02 Mars, 2008 [11:53:28 UTC]